mardi 1 septembre 2009

Puissance

La rencontre magique.

J’ai pu rencontrer un peu par hasard et assez brièvement un jeune lao, qui sera à partir de la rentrée prochaine étudiant en France.

Sa famille organisait pour marquer son départ un Bassi, cérémonie traditionnelle lao.
Il s’agit d’une soirée où la famille et les amis proches sont invités, comme un « pot de départ » finalement, mais en plus solennel et marqué par les traditions culturelles.

Nous avions très peu discuté auparavant. Je n’ai donc pas vraiment compris pourquoi, mais le fait est qu’il m’a invité.
Quoi qu’il en soit, c’est un garçon vraiment adorable à qui on donnerait le bon dieu sans confession. Il représente typiquement le jeune garçon lao dans tout ce qu’il a de sympathique.

Hop hop hop, j’enfile ma tenue de charisme est j’y vais, curieux.

En effet, toute la famille et les amis étaient là, dans une grande et belle maison remplie de nourriture et de boissons en tous genres. J’ai pensé être le seul falang jusqu’à ce que je ne m’aperçoive que nous étions en fait deux. Lucille, une (charmante) française qui est en VIA pour l’ambassade de France était également de la fête. Sa présence était d’ailleurs bien plus légitime que la mienne, puisque c’est elle qui s‘est occupé de tous les détails administratifs de Sommano pour son départ en France.

Tout ça pour dire que j’ai rapidement fini par tomber sur le père, que je n’ai alors plus lâché de la soirée.

Diplomate de carrière, il est maintenant au ministère des affaires étrangères du parti après avoir été ambassadeur du Laos à Paris, en Mongolie et au Japon. Autant dire que je n’avais pas à faire à un enfant.

Une première heure assez fun, où il a été aux petits soins avec moi, typiquement dans l’esprit et la culture lao, très attentif et au service de ses invités!
- Alors que j’ai une assiette remplie entre les mains : « vas goûter la soupe, elle est typiquement lao, mais attention, elle est épicée ».
- Une fois que j’ai une assiette dans chaque main : « goûtes ce plat, c’est typiquement lao, c’est très bon, mais attention, c’est épicé ».
- Alors que j’ai déjà une bière pleine devant moi, et que les « bonnes » passent toutes les 2 minutes pour me mettre à niveau, il arrive avec son Merlot du Chili et m’invite à trinquer avec lui.
- Entre les verres de vins et les bières, il proposait de temps en temps de partager un petit verre de Lao-Lao, qui soit dit en passant était très bon ! « Les mélanges ce n’est pas bon ! Mais goûtes le Lao-Lao, c’est l’alcool typique du Laos ! C’est très bon pour l’énergie et pour les hommes ! ».

Bref, nous sommes rapidement passé de sobriété à ébriété.
C’est là que ca devient intéressant.

Tant d’intensité, d’informations, de phrases mythiques…j’ai l’impression de ne pouvoir rien en dire tellement ce fut immense.
Après avoir vécu ce que j’espérai vivre, me voilà maintenant frustré du brouillard que ca a répandu dans ma tête et du manque de souvenirs concrets que j’en ai…

Le temps de me dire : « cette phrase, il faut absolument que je la note ! », et j’en ratais trois nouvelles. Résultat, je n’ai rien noté.

Voilà en vrac les souvenirs, sans cohérence, que j’ai de cette discussion :

- Le mot sagesse, qui est revenu tant de fois. Elle représente la maturité intellectuelle et l’accomplissement d’une personnalité. La sagesse, au dessus de tout. Il a notamment insisté sur le fait qu’un de ces objectifs en tant que père, est justement de transmettre cette sagesse à ces enfants.

- Toujours en parlant d’éducation, voici mon sentiment : Il insistait régulièrement sur le fait qu’il est indispensable de laisser le choix à ces enfants, de ne pas les pousser, les inhiber. Les laisser observer et prendre leurs propres décisions. Un beau tableau rabâché, peut être pour m’enlever de la tête d’éventuels préjugés.
(C’est beau de laisser ces enfants choisir, mais si je peux me permettre, si avant qu’ils n'aient l’âge de faire des choix on ne leur montre qu'un unique chemin à prendre…)

- « Le bonheur, c’est la famille ». Voilà quelque chose qu’il m’a souvent répété, avec passion et sincérité. Il semble avoir un parcours professionnel très riche et a souvent eu l’occasion de partir travailler à l’étranger en tant que diplomate. Mais avec le temps, cette richesse financière a fini de le rendre heureux et ce qu’il cherche aujourd’hui, et pour toujours, c’est le bonheur, c’est la famille. C’est pourquoi il a décidé de retourner travailler à Vientiane et de ne plus en bouger. Les lao sont de manière générale très « famille », et j’ai vraiment pu voir à quel point c’est vrai.

- On tournait autour du bonheur, et je ne sais plus pourquoi ni comment, mais une phrase m’est resté: « L’endettement, c’est la tristesse ».

- Retour sur l’éducation : « L’objectif et de transmettre la richesse intellectuelle, pas la richesse financière.

- J’ai tenté la dérive vers le sujet politique, qui s’est avéré être un peu plus tabou...
Mon grand regret : mes lacunes historiques et politiques. J’aurai tellement aimé avoir pu préparer cette discussion. J’ai passé la journée suivante à lire et à comprendre des choses qui m’auraient beaucoup aidé à aller plus loin. Au final, j’ai souvent été limité par mon ignorance, ce qui est vraiment dommage parce que ça pouvait vraiment partir très loin. J’ai donc eu droit à un cours d’histoire politique, pendant lequel j’essayai sans vraiment de gène de poser les questions qui me paraissaient pertinentes.
Voici donc en vrac, quelques idées par ci par là que nous avons échangées (achtung : je simplifie de façon honteusement scandaleuse, désolé !) :

- L’évolution de l’humanité : Depuis que le monde est relié, depuis qu’il est guidé par les puissances et l’économie, voici les différentes phases « sur lesquelles tous les spécialistes s’accordent ».
Tout d’abord une période « bipolaire », qui correspondrai au partage entre un une puissance capitaliste et une puissance communiste. La guerre froide finalement.
Nous sommes aujourd’hui sur la fin d’une période « unipolaire » dans laquelle le capitalisme était roi.
L’avenir proche est quant à lui « multipolaire ». La persistance boiteuse du capitalisme vers son déclin, le retour de la puissance communiste mené par la Chine et enfin l’influence des pays émergents (Inde, Brésil, Asie du Sud Est entre autres).
La certitude est pour lui (et selon certains spécialistes qui en ont les preuves) que le 21ème siècle sera celui de l’Asie. L’empire capitaliste à atteint son apogée et a déjà entamé sa phase de déclin (exemple des « piliers » de la banque mondiale qui sont déjà 3 sur 4 à être tombés). Les crises successives, les faillites…
Il parle bien du 21ème siècle et insiste sur le fait que nous sommes à l’an 9 de ce siècle. « Rendez vous dans 100 ans ».

- Le communisme en 5 lignes :
Les fondements de la doctrine communiste se retrouvent à la révolution française, et c’est Marx qui en a véritablement posé les bases. Marx donc, bien sur, mais également Hegel, qui a largement apporté sa pierre à l’édifice. C’est finalement Lénine qui sera le premier à représenter l’application pratique de cette doctrine. Lénine, puis Ho Chi Minh, qui est le 4ème des grands noms du communisme qu’il m’a cité.

Nous sommes rentrés dans les détails, mais il est parfois allé trop loin pour moi, malheureusement.

- Remarque pertinente que je partage : Les français ne connaissent pas l’histoire de leur pays. Ou plutôt, ils ont la mémoire sélective. Là c’est moi qui parle, mais ca représente bien ce que nous disions : demandez à un quelconque bachelier ce qu’il sait de Dien Bien Phu et de la guerre d’Algérie. Il vaut mieux être sourd que d’entendre la réponse. Ceux qui s’en sortiront le mieux seront ceux qui aiment le cinéma et les reportages à la télé.

- Le comportement des falangs au Laos : Je ne parle pas des touristes, mais de ceux qui sont ici pour travailler, en particulier les ONG. Je suis d’accord avec lui sur ce point évident : Il n’y a rien de plus con que de venir ici pour appliquer ces méthodes avec ces certitudes occidentales. C’est au Laos qu’il faut s’adapter plutôt que de vouloir qu’il s’adapte à nous. J’étais content de lui répondre que c’était mon état d’esprit, et je n’ai pas été surpris de l’entendre me dire que c’est en grande majorité loin d’être le cas. « Beaucoup d’ONG sont reparties déçues du Laos, parce qu’elles n’avaient rien compris ».
Voilà les mots qu’il utilisait pour finalement me décrire une haine contre le néocolonialisme : « Venir nous insulter, nous critiquer, nous dominer : plus jamais ! » L’air de rien, quand c’est sorti de sa bouche ca m’a fait froid dans le dos.

Mots clés : « confiance et méfiance ». Les informations circulent vite au Laos. Une fois qu’on a la confiance d’un, on a la confiance de tous. La réciproque est vraie : un seul doute, et la méfiance sera généralisée.

« Il faut savoir entendre non quand on vous dit « oui ».

- Un passage que je n’ai pas bien compris, c’était au début, quand il était un peu éméché. C’est dommage parce qu’au final je pense que c’était la clé de toutes les portes.
Je ne garanti pas l’information, mais j’ai l’impression d’avoir compris ceci : « Attention, les vrais lao, ce sont les lao loum de Vientiane. Dans les provinces, se sont des minorités ethniques, il ne faut pas leur faire confiance ».
Si c’est bien ça qu’il a dit, ça en dit long sur bien des choses…

- Objectif : « Se libérer du joug colonialiste et impérialiste ». (oui, je viens de lancer une phrase comme ça, hors contexte !).

- J’ai essayé de mettre sur le tapis la question de la critique, de la grève, dans l’objectif d’arriver à lancer le débat sur la question du « parti unique ».
Sans vraiment argumenter ni s’expliquer, il me disait que le droit de grève et la critique d’un gouvernement (on prenait l’exemple de la France) étaient des choses stupides.
C’est petit à petit devenu assez difficile, la discussion n’avait plus queue ni tête. La tension montant, je n’ai pas osé le coup du parti unique. Dommage !

- A plusieurs reprises, notamment quand je lui parlais de mes idéaux ou quand je lui posais certaines questions, il me demandait : « pourquoi posez-vous ces questions ? ». Il me disait aussi : « On ne parle pas des choses impossibles au Laos, c’est une perte de temps ».

- Un sujet qui est devenu assez flou sur la fin est le statut politique du gouvernement Lao. On parlait sans gène de communisme au début, puis vers la fin, il me reprenait à chaque fois pour me dire que le Laos n’est pas un pays communiste, mais socialiste.
« Non, le parti Lao n’est pas un parti communiste, c’est un parti socialiste. Vous êtes mal informés ».
En trifouillant un peu, parfois, j’arrivai à lui faire dire que « le but ultime est d’arriver au communisme, mais que le gouvernement doit s’adapter au contexte politico-économique de la scène internationale et que la politique actuelle est donc une politique socialiste, pas communiste ».
Je veux bien l’entendre là-dessus, le socialisme étant une étape du long chemin pour aller du capitalisme à l’ultime communisme.
Mais bon, merci la langue de bois. Il y a quand même des drapeaux communistes à tous les coins de rue et même au bowling, sans parler de leurs personnalités cultes qui se revendiquent ou se sont revendiqués communistes.
Je n’ai pas compris ce refus alors que je n’ai absolument rien montré contre le concept du communisme.
J’ai pourtant joué la carte de la curiosité neutre, et j’ai même souvent été intéressé par ce qu’il me racontait.

- Un détail qui m’a beaucoup amusé : Il est absolument fan de Jacques Chirac ! Il m’a montré fièrement la photo de lui posant avec Jacques Chirac à l’Elysée, avec en prime une dédicace perso de Jacquo !
« Jacques Chirac a été le premier à parler de monde multipolaire ».
« Jacques Chirac est le seul à s’être levé contre l’impérialisme américain, il est le seul à avoir dit non à Bush ».
Il idéalise le personnage et ne fais pas l’amalgame avec la population. Pour lui, le héro est le personnage, et il ne pense pas que ce geste de Chichi était une façon de représenter l’opinion du peuple français. J’ai essayé de lui dire qu’avant que ce bon vieux Jacques ne prenne ces courageuses décisions, l’opinion publique et la rue le lui demandaient. Je ne sais pas s'il a voulu l'entendre...

- 2 phrases qui s’enchaînent :
« Je veux que mon fils suive son propre chemin, qu’il fasse ces choix. S’il veut rester en France, qu’il y reste ».
Puis : « Mon fils va avoir une bonne formation en France et va revenir pour aider son pays ».
(NDLR : un poste au chaud semble l'attendre au ministère des finances).

- L’ambition : Peut être ce qu’il m’a le plus rabâché. « Il faut voir loin, il faut viser loin, il faut penser au long terme. Il faut aller le plus haut et le plus loin possible. Le pays à besoin de ça ».

- « Nous savons tout, nous savons quels medias et quels pays critiquent le Laos, la Chine et de manière générale les régimes « communistes ». Nous ne sommes pas sourds ni aveugles. « Pays communiste = parti unique = dictature » et toutes ces rengaines capitalistes, on les connait, et on saura s’en souvenir.
Si un peuple n’est pas bien dans son pays, alors c’est lui-même qui se rebellera, c’est lui qui fera changer les choses. Ce n’est pas à vous de venir nous dire que notre régime est mauvais et dictatorial.
L’histoire du colonialisme l’a montré, les peuples sont toujours les plus forts. Une dictature ne peut pas durer dans le temps car on ne peut pas battre le peuple(exemple de Dien Bien Phu).
Si notre régime était une dictature et que la population voulait que ca change, alors la population nous battrait ».

De belles paroles crédibles…mais je me permet de rester sur la réserve, notamment lorsque je vois comment il répond (ou pas) aux questions des libertés individuelles et collectives, lorsqu’il s’agit de parler de la possibilité de remettre en question voire de critiquer le gouvernement. Je reste prudent aussi lorsque je rencontre des laos, qui bizarrement n’ont pas tous l’air aussi enchantés que lui. Enfin, quand je vois que 80% des laos vivent si loin de tout ça, tellement loin de la politique…une maison en bois et une production pour sa propre consommation, ni plus ni moins. Vous imaginez bien que les notions de capitalisme, de communisme et toutes autres réflexions sur la politique et sur l’économie, c’est le cadet de leurs soucis.
Les leaders peuvent dormir sur leurs deux oreilles avant que la population des campagnes n’envisage un quelconque mouvement de révolte, qui risquerait de toutes facons d'etre accueilli comme il se doit

- Hors contexte, au sujet de la Chine : « Chat noir chat blanc, peu importe tant qu’il attrape la souris ».

Voilà.

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